Répondre à la question « qu’est-ce que tu aimes dans RE2 », l’original de 1998, est très difficile pour moi. Ce que j’aime, c’est le jeu dans son ensemble, plus que n’importe quel épisode de la série d’ailleurs. Ce que j’aime, c’est le level-design par-dessus tout, mais également le sound-design, le gameplay, et tout ce qu’il y a autour : L’histoire à coucher dehors et la non-performance d’acteur des comédiens de doublages américains. Le tout contribue à former un tout cohérent : La direction artistique très datée colle impeccablement au jeu d’acteur complètement à côté de la plaque, et le tout excuse un scénario de série B pour lequel se prendre au sérieux aurait été fatal. Le gameplay lourd, pataud, est indispensable au suspens que le jeu essaye d’installer, le sound-design contribue à ce suspens, ce stress, cette pression permanente instillée par les limitations d’inventaire, de munitions, de sauvegardes, les contraintes de mouvement et du champ de vision, mais allégée par le level-design ingénieusement construit autour de raccourcis. Combien de fois se sera-t-on exclamés « ouf, je n’aurai plus à passer par ce couloir pour aller dans cette salle maintenant que j’ai accès à l’échelle » ? Tout dans ce jeu se tient, tout est justifié.Tout, sauf peut-être son remake, sorti 11 ans plus tard.Mon but ici ne sera pas de casser Resident Evil 2 Remake, qui est par ailleurs un excellent jeu, mais plutôt d’essayer de répondre à cette question : Qu’est-ce qui justifiait un remake d’un des – si ce n’est LE – meilleur(s) épisode(s) de la série plutôt que la création d’un nouvel épisode ?

Évacuons d’entrée de jeu ce que tout le monde sait déjà, puisqu’à l’heure où j’écris ces lignes le jeu est sorti depuis 4 jours : Oui, ce remake de Resident Evil 2 est un très bon jeu. Si on met à part les gros soucis que rencontrent toutes les versions du jeu avec les reflets (indignes même d’un jeu PlayStation), les grosses incohérences de l’histoire introduites par la dissociation narrative entre l’histoire de Leon et celle de Claire, et le jeu d’acteur franchement épouvantable, le jeu est même très très bon. Le soucis, c’est que ces problèmes sont présents, trop présents, et présents sur un remake. Et qu’est-ce qu’un remake sinon une occasion d’améliorer l’existant, de corriger ses erreurs ? L’épisode d’origine, sorti sur PlayStation, proposait deux CD, un pour chaque héros : Le CD1 était celui de Léon, le CD2 celui de Claire. C’était une très bonne idée à l’époque, qui permettait de doubler la durée de vie d’un titre qui se bouclait sans ça en six heures. Bonne idée qui introduisait cependant un problème : Les deux personnages vivaient peu ou prou la même aventure, la même histoire dans les mêmes environnements. Ils devaient tuer les mêmes ennemis, résoudre les mêmes énigmes… Et le tout, en même temps, mais jamais ensemble. Difficile dès lors de comprendre pourquoi Claire doit résoudre toutes les énigmes résolues six heures auparavant par Léon. Ce problème, ne nous mentons pas, n’en était pas un dans le jeu original – un jeu ouvertement série B qu’il était très difficile de prendre au sérieux – mais en devient un dans ce remake. Car Resident Evil 2 Remake, s’il est toujours aussi kitsch dans son scénario de base, se prend aujourd’hui au sérieux : Le jeu d’acteur a été entièrement revu, les doublages refaits, les dialogues réécrits, et les scénaristes se permettent même d’aborder un sujet assez glauque avec Sherry, (que je ne spoilerai pas dans ces lignes) et d’essayer de vous tirer une larme avec l’histoire de l’armurier. L’effort, s’il est louable dans l’idée, se révèle assez catastrophique dans la réalisation puisqu’en plus d’être ruiné par le jeu d’acteur pitoyable (en version anglaise), il ajoute une prétention, une ambition à ce Resident Evil que l’original n’avait pas en 1998. Ce qui est problématique, c’est que Capcom ne s’est pas donné les moyens de cette ambition, cette impulsion nouvelle contraste amèrement avec le scénario profondément idiot d’origine. Imaginez un débat philosophique en plein milieu d’un film de série B : l’ensemble nuirait à ce moment, qu’il soit de qualité ou pas, en ce qu’il ne pourra être pris autrement qu’à la dérision. Mais revenons-en aux aventures séparées (mais pas trop) de nos deux héros : Pour dire les choses simplement, les incohérences font sourire sur un jeu kitsch dans tous ses aspects, mais elles font tache sur un jeu qui essaye de se prendre au sérieux et essaye de nous immerger.

Non, ces reflets, c’est pas possible.

Et la technique ?

On a déjà abordé les reflets un peu ratés, mais parlons du reste : Le titre est à part ça vraiment magnifique et tourne de façon respectable sur consoles. Enfin… sur les déclinaisons haut de gamme : La Xbox One X et la PS4 Pro maintiendront un 60FPS constant (quelques petites chutes sont cependant à déplorer) tandis que la version Xbox One classique aura toutes les peines du monde à dépasser les 47FPS. La PS4 classique conserve, elle, une moyenne de 50FPS. Le « frame-pacing » (le temps d’attente entre chaque image) semble normal, et ne donne donc pas ce sentiment de jouer à un jeu qui rame. Une option pour limiter le framerate à 30 aurait malgré tout été la bienvenue sur les consoles classiques, un framerate moins élevé mais constant étant toujours plus agréable qu’un taux élevé mais chaotique. Toutes ces considérations feront rire le joueur PC, qui hérite d’une version plutôt pas mal optimisée, et bourrée de réglages assez vastes pour faire en sorte de faire tourner le jeu sur une config modeste (à base d’i5 4570, de GTX970 et de 8Go de RAM, au pif). Bon point donc pour Capcom qui, avec son RE Engine, tient un excellent moteur qui avait été optimisé pour la VR sur PS4, et qui visait donc dès le départ un framerate élevé sur consoles. Le RE Engine était également utilisé sur Resident Evil 7, et sera notamment utilisé sur Devil May Cry 5.

Et là on rentre dans le coeur du problème : Les solutions étaient nombreuses pour corriger le tir : Quitte à ajouter au scénario, pourquoi ne pas y avoir ajouté un côté horreur psychologique en introduisant ce qu’on appelle communément en anglais le concept de l’unreliable narrator – le narrateur non fiable ? L’unreliable narrator est un narrateur dont le récit est, pour une raison ou pour une autre, faussé. C’est un procédé qu’on retrouve souvent – mais pas seulement – dans les oeuvres post-modernistes et qui traduit souvent la folie, la confusion d’un narrateur. On aurait pu imaginer un Léon en pleine crise de délire qui, pensant résoudre des énigmes et désamorcer des pièges, les imagine et les tend. On aurait pu l’imaginer, oui, mais pas pour Léon, et pas pour Resident Evil 2 : Le canon de la série garde les scénaristes pieds et poings liés et Léon doit devenir le héros de Resident Evil 4… Alors on aurait pu imaginer une solution plus terre à terre : Réunir les deux histoires, et alterner entre les actions de Claire et celles de Léon. Léon débloquerait telle porte, Claire affronterait tel ennemi, Léon récupérerait telle clé, Claire tel médaillon…§ty( (pardon, c’était un petit mot de mon chat marchant sur mon clavier). Pourquoi ne pas l’avoir fait ? Peut-être par respect pour le matériau original, ou plus vraisemblablement pour garder un jeu faisant deux fois six heures plutôt qu’une aventure condensée en huit. Le fait est que l’oeuvre originale, aussi fantastique qu’elle soit, a contraint les développeurs. Ils ont dû ajouter sans dénaturer, moderniser sans appauvrir, rendre sérieux ce qui était idiot, mais sans jamais trahir. Quand on s’attaque à une oeuvre de la trempe de Resident Evil 2, c’est une mission que je ne pense pas possible. À l’arrivée, on se retrouve avec une oeuvre paradoxale, bicéphale, qui avait à sa portée la solution à tous ses problèmes, mais qui n’a pas pu les saisir parce qu’elle était et devait être Resident Evil 2 avant tout. Resident Evil 2 Remake, pour toutes ses qualités, a les défauts du jeu empêché, contraint. Des défauts qui avaient été habilement contournés sur Resident Evil 7, et qui auraient pu l’être de nouveau si cet épisode, au lieu de s’évertuer à rendre « très bien » un épisode culte qui trônait déjà en tant que numéro 1 sur les classements de fans, s’était affairé à re-moderniser la série en elle-même avec un huitième épisode qui aurait cette fois apporté du neuf tout en rendant hommage à l’héritage de la série.

Qu’on l’aime ou pas, Henry Ford avait cette phrase célèbre : « Si j’avais demandé à mes clients ce qu’ils attendaient, ils auraient répondu ‘un cheval plus rapide’ » (au lieu de l’invention de la voiture, ndlr). Capcom a cédé aux fans, et surtout au pactole qu’un remake de l’épisode le plus apprécié de la série livrerait. Le soucis, c’est que la tradition contraste un peu trop avec la modernité ici. Resident Evil 2 est un très bon jeu, stressant dans sa gestion des munitions, des multiples vies de ses zombies (là, vraiment, ils ne veulent pas crever !) et des rencontres avec le Tyrant (je n’en dis pas plus). C’est un jeu d’une beauté assez saisissante pour ne rien gâcher, mais c’est aussi un jeu contrarié, coincé dans son futur par son passé. L’intérêt de l’opération pour Capcom est évident, pour le joueur en revanche l’utilité est plus difficile à cerner. Pourquoi diluer son souvenir de l’épisode le plus aimé de la série dans un remake plutôt que découvrir un nouvel opus qui lui rendrait hommage tout en se permettant d’innover, de se détacher et de s’établir ? Arrêtons de redorer les vieilles gloires toujours éclatantes… Capcom, essayez plutôt qu’en créer de nouvelles.