J’ai terminé Gears 5 il y a quelques semaines, et il y a donc quelques semaines que je veux en parler ici. Seulement, j’ai un gros problème : je ne sais absolument pas quoi en dire. Ça arrive, ça m’arrive. On est parfois scotché par un jeu au point de ne pas avoir les mots pour le décrire, on a parfois envie de dire simplement « achetez-le impérativement, vous verrez ». Mais ce n’est pas le cas ici. Je n’ai pas particulièrement été scotché, et ne ressens pas non plus l’envie irrésistible de ne vous donner un feu vert inconditionnel pour y jouer. Non, si je ne sais pas que dire de ce nouvel épisode, c’est simplement parce c’est le cinquième épisode canonique d’une série qui peine à se renouveler malgré plusieurs tentatives (à mon sens) ratées, c’est parce qu’on ne parle de ses rendez-vous Tinder à ses amis que lorsqu’ils sont simplement merveilleux, ou complètement foirés. Que dire alors de Gears 5, quand on fait face à un nouveau rendez-vous manqué ?

Gears of War, c’est le bébé d’Epic Games, les géniteurs d’Unreal. C’était à l’époque une superbe vitrine technologique pour la nouvelle mouture du moteur maison faisant tourner le jeu, l’Unreal Engine 3, au sortir d’une génération Gamecube/PS2/Xbox sur laquelle l’Unreal Engine 2 régnait en maître. Le premier épisode de cette série lancée sur Xbox 360 était donc l’occasion pour Epic de consolider sa place de fournisseur numéro un de moteur 3D, mais aussi pour Microsoft de devancer Sony et démontrer la puissance de leur nouvelle console. Loin de moi l’idée de retirer ses mérites à Gears of War premier du nom, mais force est d’avouer aujourd’hui que cet épisode était, dans son essence, une démonstration technologique et un message envoyé à la concurrence. Le gameplay, reprenant celui de Winback sur Nintendo 64 et de Kill.Switch sur PS2, était plutôt novateur pour l’époque, mais il était d’une simplicité incroyable : on traverse un couloir jusqu’à arriver dans une arène, on se cache derrière un muret et on aligne ses ennemis dès qu’un bout de tête dépasse de la caisse derrière laquelle ils sont planqués. Cette boucle de gameplay ultra-simple était répétée pendant tout le jeu (seulement entrecoupée de passages à bord d’un véhicule un peu ratées, et toujours aussi linéaires), à travers une histoire vue et revue et d’un amoncèlement de personnages tous plus clichés les uns que les autres. On ne dirait pas, dit comme ça, mais j’avais beaucoup aimé le jeu ! Les armes étaient fun, le jeu était rythmé, mais soyons réaliste, l’ensemble était très bas du front, et convenait très bien à une démo technique. C’est surtout avec Gears of War 2 que la série a acquis ses lettres de noblesse : les développeurs ne pouvant plus autant compter sur l’effet de nouveauté technologique, ils ont étoffé leur univers, étoffé le gameplay, mais ils ont surtout énormément travaillé la mise en scène. Qui peut oublier l’atmosphère si particulière et dérangeante de New Hope ? La démesure des affrontements contre les Brumaks ou le ver géant que l-on tue de l’intérieur ? Seulement, quand à force de surenchère on en met plein les yeux dès le deuxième épisode, difficile de renouveler l’exploit une troisième fois. Epic a tenté tant bien que mal de le faire avec Gears of War 3, mais sans ne jamais réussir à re-capturer la magie qui faisait son prédécesseur, avant de jeter l’éponge et refiler le bébé à Microsoft.

C’est là qu’entre en scène The Coalition, un studio dédié exclusivement au développement de la série, et qui à la question « comment renouveler une licence quand la surenchère de n’importe quoi ne fonctionne plus » a répondu « viens Roger, on fait un truc plus intimiste et on se détache complètement du passé ! ». Gears of War 4 proposait donc de suivre les aventures de JD Fenix, le fils du héros de la trilogie originale, et de ses amis, dans un monde débarrassé des Locustes. On suivait un conflit plus terre-à-terre entre un nouvel ordre et ses dissidents, tout en découvrant les répercussions du conflit Humains contre Locustes sur la planète qui les abritaient. La présence de Marcus Fenix promettait un passage de relai dans les règles de l’art, et une problématique de transmission père-fils qui aurait même pu refléter le passage de la licence d’un studio à l’autre. Seulement… Seulement, les Locustes sont toujours là, bénéficient d’un ravalement de façade tellement minime qu’on se demande pourquoi le jeu fait tant de mystère sur leur retour aussi longtemps, et l’ancienne équipe de Gears (Cole, Baird etc) refait très rapidement surface. Gears of War 4 était un enfant qui a voulu tenter un truc en marchant seul, mais qui a fini par se raccrocher aux jambes de ses géniteurs. Le gameplay n’avait pas bougé d’un iota, l’histoire ne se saisissait pas des pistes qui lui tendaient les bras et restait beaucoup trop classique, tandis que la mise en scène effectivement plus intimiste privait l’épisode de l’atout majeur du second volet de la série : sa mise en scène spectaculaire. En résultait un jeu bien trop moyen sur tous les plans, graphismes mis à part.

Et la technique ?

Ce retour de Gears n’est pleinement satisfaisant que sur le plan technique. Comme toujours dans la série, le jeu est magnifique, mais il est aussi très bien optimisé, visant les 60 FPS sur toutes les plateformes, y compris en 4K sur Xbox One X.

Tout ce que je vous expose, The Coalition semblait l’avoir compris. Au lieu d’amorcer un changement radical de la série, ils semblaient dans cet épisode enfin assumer l’héritage Gears, l’épouser, et vouloir y introduire de la nouveauté. Si Gears 4 avait des accents de reboot, ce cinquième opus dégageait un parfum de remise à neuf. On retrouve donc ici les héros, les antagonistes, les lieux et les enjeux d’antan, mais avec une narration plus proche de notre temps, de nouvelles pistes intéressantes, et un personnage central féminin nommé Kait, promue de son poste de faire-valoir de l’épisode précédent à celui de clé de voûte de tout le scénario dans celui-ci. Nous entrons maintenant dans les spoilers : Kait entretenant une relation très particulière avec les Locustes, The Coalition tenait ici une occasion en or, celle de nous donner le contrôle et la construction d’un personnage qui deviendrait l’antagoniste principal de cette nouvelle trilogie. Comme vous pouvez vous en douter, le studio ne va, une nouvelle fois, pas au bout de son idée, et nous propose finalement un MacGuffin pré-mâché, et fort mal amené, comme tout le reste de la narration, qui lui permet de revenir en arrière, loin de toute prise de risque. Il en est de même pour l’évolution de JD Fenix, qui ne nous laisse entr’apercevoir un « Dark JD » qu’APRÈS un retour à sa personnalité d’origine, sans trop de détail ni de raison à ce changement dont on n’entend parler que par le biais d’une ligne de dialogue prononcée par un personnage incroyablement pénible quand il n’est pas simplement fade et ennuyeux (Fahz). Les ellipses du scénario en rendent le fil confus, et interrompent réellement la progression des personnages dans une histoire qui sent rapidement le réchauffé. Les décors, eux aussi, font dans le retour aux sources inutile avec un twist raté, et ne sont là que pour se raccrocher aux branches d’un fan-service qui ne parvient pas à masquer le fait que ses créateurs n’osent pas sortir des sentiers battus par Epic avant eux. La seule nouveauté est à chercher dans les deux hubs proposés par le jeu, et « grâce » auxquels on nous propose quelques quêtes secondaires FedEx qui vous récompenseront d’améliorations pour Jack, qui nous prêtera cette fois main forte pendant les combats. Ces hubs vous laisseront explorer les environs entre deux quêtes principales à bord d’un véhicule assez maniable, exactement à la manière de ce que propose la série des Halo depuis toujours.

Ce Gears 5 est donc un opus de plus, sans réel brio, sans génie, qui avait toutes les clés en main pour surprendre le joueur et sortir du carcan des épisodes originaux. Comme on commence à en avoir l’habitude, The Coalition amorce quelque chose d’intéressant et l’abandonne immédiatement, ne laissant qu’un gameplay éprouvé et on ne peut plus classique qui ne marquera plus personne. Gears 5 est un jeu agréable, mais sans surprise, et ne laissera malheureusement aucun souvenir aux joueurs qui l’auront terminé. Ni un ratage monumental, ni une franche réussite, un rendez-vous manqué. Un de plus.