Doom. Rien que ce nom pose directement l’ambiance. Dès qu’on parle de Doom, on sait tout de suite qu’on va parler de quelque chose de mythique, d’un genre entier plutôt que d’un simple jeu. Parce que Doom, bien plus encore que Catacomb 3D ou Wolfenstein, est le véritable père fondateur du First Person Shooter, appelé Doom-like dans les années 90. Plus que nul autre jeu, Doom a créé un rythme, un bestaire, une ambiance qui sont restés dans les annales du jeu-vidéo. Il a posé les codes de déplacement (strafe et compagnie) et de level-design qui font référence depuis sa sortie, et desquels une grande quantité de FPS modernes se rendent coupables de se détourner, appauvrissant le genre de l’opinion d’une foule de joueurs. Doom est bien plus qu’un simple nom, qu’une simple série, c’est un pilier. Mais alors quel intérêt à risquer de dénaturer cette référence en sortant un nouveau volet ?

Doom 3 avait su apporter une réponse à cette question, mais elle n’était pas du goût de tout le monde : le véritable père de Doom, John Carmack avait une vision technique du jeu-vidéo, et voulait se servir de cette série phare comme vitrine technologique. Il l’avait fait pour le premier épisode, qui exhibait une fausse 3D inédite pour l’époque, et l’a donc refait avec un Doom 3 riche en éclairages et ombres dynamiques et en bump-mapping, tout aussi impressionnants pour l’époque. Mais Carmack laissait l’aspect ludique, le gameplay, de côté. Doom 3 était un FPS classique, plutôt bon mais lorgnant du côté de l’horreur, et très mal rythmé. Dès lors s’en suivirent des errements divers et variés tels que Rage, le FPS le plus plan-plan de la création, qui mirent id Software, son développeur, en danger. Après moultes péripéties et le départ de Carmack, id Software entame un reboot de Doom pour s’offrir une dernière chance de survie. Si le tout premier épisode sorti en 1993 avait eu pour effet d’officialiser la naissance d’id Software, celui de 2016 lui aura fait écho en en signant la renaissance. Doom 2016 offrait au genre un rythme nouveau tout en mettant le reste de ses composantes au goût du jour. Chaque épisode de Doom aura eu son rôle dans l’histoire d’id Software, et du FPS de manière globale… alors Doom Eternal dans tout ça, ne serait-il là que pour surfer sur une vague ?

Pour parler de Doom Eternal, et c’est très paradoxal, il faut impérativement revenir sur Doom 2016, mais il faut également l’oublier. L’épisode de 2016 a fait figure de renaissance de la série, mais ne marquait finalement pas le renouveau d’un genre. Il était jouissif, violent, il posait les bases d’un univers, mais également celles d’un nouveau rythme : ce que les développeurs appellent la « Doom dance ». Le concept voulait que chaque ennemi rencontré avait sa vulnérabilité à un arme précise, et qu’il fallait donc s’engager dans des batailles comparables à un jeu d’échecs (telle arme prend le cavalier, telle autre prend la tour etc), sur des plateaux en forme d’arènes dont il était impossible de s’échapper avant d’en être le vainqueur. Si le jeu était très réussi (c’était nerveux, beau, jouable, encore une fois jouissif, et la musique confinait au génie), sa boucle de gameplay tombait à plat. Non pas que l’idée était mauvaise, mais l’échiquier gardait le joueur beaucoup trop à l’étroit, et un arme venait casser tout l’équilibre qu’il y avait entre les pièces. Pourquoi penser stratégique quand le Super Shotgun (que l-on obtient très rapidement dans le jeu) vient à bout des démons les plus puissants en quelques coups ? À quoi bon gérer ses ressources en effectuant des glory-kills (pensez « finishing moves » de Mortal Kombat, mais en vue à la première personne, à la différence qu’ils rendent vie, armure et munitions au joueur qui les exécute) quand il devient possible d’avoir des munitions illimitées pour la-dite arme surpuissante via une rune ? Ce déséquilibre suffisait à lui seul à détruire complètement la mécanique du jeu.

Technique, et Doom 64

Doom Eternal est absolument magnifique sur PC, et d’une fluidité difficile à prendre en défaut. Pour les machines les moins puissantes, le jeu propose également un ajustement dynamique de la résolution, mais il est globalement très très bien optimisé.
Pour ce qui est de Doom 64, offert à la pré-commande, on a droit à un portage extrêmement fidèle de l’opus qui était resté jusqu’à présent exclusif à la Nintendo 64. À cela près qu’on peut évidemment y jouer au clavier et à la souris, dans la résolution de son choix, et à 60 fps.

Et c’est là qu’entre en scène Doom Eternal. C’est là qu’il faut faire fi de 2016. Parce que c’est simple, Doom Eternal est tout ce qu’était Doom 2016, mais il réussit en plus à faire fonctionner la mécanique, la « Doom dance », reléguant l’épisode précédent au rang de simple brouillon. Doom Eternal reprend chaque aspect du gameplay de son frangin et le développe méthodiquement : La gestion des ressources se divise maintenant en trois, à savoir qu’un glory-kill ne rendra au joueur que de la vie, que l’armure se récupère en passant un démon au lance-flammes monté sur l’épaule du Doom Slayer, et que les munitions (en nombre très très restreint dans cet épisode) ne récompenseront qu’un tronçonnage en bonne et due forme. La tronçonneuse change, en passant, de fonctionnement puisqu’elle ne dispose plus que de trois réservoirs, dont un qui se recharge automatiquement, pour permettre de récupérer des munitions à n’importe quel moment sur des démons faiblards (type zombies et imps), mais les démons nécessitant un plus grand nombre de réservoirs dans le premier épisode ne pourront plus être tués avec cette arme dans cet épisode. Puisqu’on parlait des munitions, comme je le disais, elles sont très limitées dans cet opus, vous forçant à ne jamais utiliser la même arme… et du coup à penser stratégique ! Puisque le joueur n’a pas beaucoup de munitions, il est constamment poussé à optimiser son utilisation des armes, et à enfin prendre en compte les points faibles des ennemis. Quand on ajoute à ça un rééquilibrage des armes qui n’en laisse aucune régner en maître sur les autres, on obtient le réel aboutissement du jeu d’échecs envisagé pour l’opus précédent.

Ça peut paraître peu, mais rien que ce fait transfigure complètement le jeu d’id Software, et lui donne un rythme inédit dans le FPS. Réellement inédit. Doom Eternal est un FPS extrêmement rapide où le moindre temps d’arrêt peut être fatal (les ennemis font très très mal, et ce dans tous les niveaux de difficulté), assez stratégique, et beaucoup moins confiné que son aîné. Tout cela en se payant le luxe d’être incroyablement fun, d’étoffer l’histoire de la série tout en raccrochant les épisodes les uns aux autres, en proposant une durée de vie d’une quinzaine d’heure et une grosse replay value (pas mal de bidules à collectionner, de compétences et de skins à débloquer… mais le simple fun suffira à vous faire revenir). Je pourrais vous parler des nouveautés comme le « meat-hook », une sorte de grappin monté sur le Super Shotgun qui vous propulse directement vers votre ennemi, des phases de plate-formes qui – si elles font débat – permettent de baisser l’intensité du jeu pour vous permettre de souffler entre les batailles qui sont toutes réellement intenses, tout en ouvrant un peu les maps – vachement plus vastes que dans le volet précédent – à l’exploration, mais j’ai déjà la réponse à la question que je me posais dans l’introduction. Le reste, je vous laisse le découvrir par vous-même.

Doom Eternal est un véritable chef d’oeuvre qui se permet d’effacer totalement Doom 2016 (même au niveau de l’histoire d’ailleurs, si on y pense), et qui impose au genre du FPS un rythme nouveau, un nouveau modèle qui sera suivi par nombre de jeux dans les années à venir. C’est une réussite à tout point de vue : Le gameplay est vraiment bien pensé et bien fichu, rapide, nerveux et pas décérébré, les armes sont nerveuses et jouissives, les niveaux sont magnifiques et agréables à parcourir, les musiques sont absolument extraordinaires (il faut aimer le métal, mais putain Mick Gordon, merci), et le Doom Slayer pue la classe. Je vais clore cette critique en ne disant qu’une seule chose : si elle arrive avec tant de retard, c’est pour la simple et bonne raison qu’à chaque fois que je me mettais à écrire sur Doom Eternal, j’avais beaucoup trop envie d’y rejouer pour continuer. Et c’est ça, la marque d’un grand jeu.