ATTENTION LES AMIS, CET ARTICLE VA ÊTRE BLINDÉ DE SPOILERS POUR THE LAST OF US PARTS I & II. MAIS VRAIMENT BLINDAX, QUOI.

The Last of Us, rétroactivement renommé The Last of Us Part I, était pour moi un des plus grands chefs-d’oeuvre de tous les temps. C’était un jeu touchant, avec de véritables acteurs derrière les personnages, qui jouaient tous formidablement bien. 
Tout ce qu’on pouvait ressentir dans ce jeu était absolument fantastique. L’écriture était maîtrisée de bout en bout, le rythme l’était tout autant…
Et pourtant, l’histoire en elle-même était banale : des anti-héros prennent un job, le job implique une fille, des liens se tissent avec la fille, et plein de bons sentiments en ressortent… dans la violence.
Mais des histoires banales, il en existe plein, ce n’est pas pour autant qu’elles ne sont pas belles.
The Last of Us Part II, lui, s’inscrit complètement en faux du premier volet. 
The Last of Us Part II ne veut pas vous faire pleurer, il veut vous faire souffrir. Il veut vous faire remettre en question tout ce qui s’est passé dans le premier volet.
The Last of Us Part II est un jeu mauvais. Pas un mauvais jeu, un jeu mauvais.
Et c’est là que la question que j’ai envie de poser aujourd’hui trouve sa place : Est-ce qu’un jeu-vidéo doit forcément être ludique. Un jeu-vidéo n’est-il voué qu’à nous amuser, nous faire nous sentir bien ?

Comme je le disais en introduction, The Last of Us Part I est une experience magnifique : pour la faire courte, Joel et Tess doivent escorter Ellie, une petite fille immunisée à la crise apocalyptico-fongique qui les entoure, jusqu’à la base d’un petit groupe de resistants à la dictature militaire qui s’est installée via loi martiale, car ces résistants seraient apparemment à-même de développer un vaccin à partir d’Ellie.
Tess donne sa vie pour donner naissance au duo Joel-Ellie, qui ne partait pourtant pas sur les chapeaux de roue puisque Joel a perdu sa fille au tout début de l’explosion du Cordyceps, le champignon qui fout le bordel. Et qui n’a rien à voir avec Annie Cordy.
Le voyage est plein de péripéties, mais toujours avec un objectif et le sous-objectif qu’il induit : sauver l’humanité grâce à Ellie, et donc l’escorter, la protéger coûte que coûte.
Notre protagoniste, Joel, a apparemment fait des trucs dont il n’est pas fier, mais toujours dans le but de survivre. Il a été voleur, il a été tueur… et il continue de l’être, cette fois pour protéger Ellie.
La violence présente dans The Last of Us est parfois extrême, mais dans l’absolu, elle est toujours justifiée : on doit sauver une gosse. Une gosse qui peut guérir l’humanité, restaurer la civilisation… et qui devient de plus en plus une fille de substitution pour Joel.
Le joueur aussi est sensé se retrouver dans une position de « tu touches ma fille j’te casse la tête », pour lui aussi, Ellie est une fille de substitution.
Quand la fin de ce premier épisode arrive, nous sommes sensés être exactement dans la même position : l’opération qui apporterait un vaccin tuerait Ellie, et Joel la protège à tout prix. Il tue les résistants, leur personnel médical, prend Ellie et s’enfuit.
C’est violent, injustifié pour certains, évident pour d’autres… Le débat reste ouvert, et s’ouvrira même un peu plus encore dans Part II.
The Last of Us Part II, justement, reprend nos personnages après une petite ellipse de cinq ans, et Joel a avoué à Ellie ce qu’il a fait pour la sauver, elle a essayé de lui pardonner… et nous ne saurons jamais réellement si elle a fini par le faire totalement avant l’execution soudaine de Joel par un groupe de survivants pour ce qui est perçu par les résistants (qui sont ici en voie de disparition) comme un raid de ce dernier à leur encontre. Ces ex-Fireflies (les résistants) le pistent depuis des années pour se venger.
Ces ex-Fireflies sont, aux yeux d’Ellie, des méchants, des sauvages ayant brutalement assassiné Joel, la laissant spectatrice contrainte de cette atrocité.
Mais la personne qui retrouve la trace de Joel, Abby, est contrôlée par le joueur. Nous retrouvons la trace de Joel après toutes ces années. Toutes ces années à potentiellement réfléchir à nos actions dans Part I.
Abby part à la recherche de Joel, le retrouve par hasard, le mène à son petit groupe, et l’abat avec toute la haine qu’elle a pu accumuler pendant cinq années devant le regard d’Ellie.
Les ex-Fireflies « épargnent » Ellie, qui rentre au bercail et prépare sa vengeance.
On voit le schema, « vengeance begets vengeance » comme disent nos amis outre-j’sais-plus-quelle-étendue-d’flotte. La vengeance appelle la vengeance. Ellie part se venger, accompagnée d’une paire de loustics et dans une certaine mesure du frère de Joel, et commence à trouver et tuer les personnes impliquées dans l’assassinat.

Jusqu’au basculement. 

Jusqu’au moment où les joueurs ont décroché : Bisous Ellie, on joue Abby maintenant.

Et j’avoue que j’ai failli décrocher moi-même. Le jeu est long, pas toujours bien rythmé, et nous repartons au tout début du jeu mais dans la peau d’un autre personnage.
Ma première pensée fut « j’espère que c’est juste un flashback parce que je me re-fade pas tout le jeu avec juste un autre personnage, moi ».
J’ai persévéré. Bien m’en a pris, mais il a fallu serrer les dents plusieurs fois, parce que mon dieu ce que le rythme de ce jeu est mal maîtrisé. C’est en dents de scie, il y a des flashbacks dans tous les sens, chez Ellie, chez Abby… tout est toujours très bien écrit, mais on sent bien qu’il y a eu de grosses séances de « bon, non, cette scène on va la mettre là, plutôt » et de « Oh et celle-là, elle va pas du tout ici… oui mais on ne peut pas la mettre ailleurs, et on ne va pas la supprimer… laisse-la là », certaines scènes sont bien trop longues, d’autres bien trop courtes… la fin d’en finit plus de finir…
Mais le jeu réussit tout de même l’exploit de nous intéresser aux personnages, à l’histoire d’Abby, tellement pire que celle d’Ellie.
Le jeu réussit l’exploit de… nous faire passer de team Ellie à team Abby. Et jamais de ma vie je n’aurais cru dire ou écrire ça. Jamais.
Et c’est là que The Last of Us Part II explique son titre. On n’est pas sur un Last of Us 2, mais bien sur l’autre face de la pièce The Last of Us.
Les deux épisodes sont deux faces de la même pièce. Les conséquences des actions perpétrées dans Part 1 prennent place dans Part 2. On n’est pas sur une suite ici, on est sur une conséquence.
Le père d’Abby était le docteur qui devait opérer Ellie pour synthétiser le vaccin sauveur-de-monde. Il était dévasté par le fait d’avoir à sacrifier une petite fille pour le synthétiser, ayant lui-même une fille.
Il était complètement perdu, ne savait pas s’il devait le faire ou non… et sa fille, Abby, lui dit que si ça avait été elle, elle aurait voulu qu’il le fasse. Qu’il la sacrifie.
Joel tue son père, ses proches, tous ceux qu’elle aimait, tous ceux avec qui elle avait grandi.
Abby a vécu ce qu’Ellie vit à la mort de Joel, mais avec son père biologique, tout un entourage, de l’espoir et une vie stable.
L’origine de la vengeance d’Ellie, c’est (une fraction de) ce qu’a vécu Abby.
La vengeance appelle la vengeance.
À mesure qu’on fait connaissance avec les rescapés de l’entourage d’Abby, on s’y attache. On s’attache à cet espèce de couillon idéaliste et pourtant désabusé qui sert d’intrigue amoureuse avec Abby, on s’attache au petit, rejeté et pourchassé par sa faction (faction qui fait flipper et qui impressionne pas mal au début, les fous sectaires qui sifflent, là), qui finit par remplir le rôle d’Ellie dans Part I.
Je me suis, contre toute attente beaucoup, beaucoup plus attaché au côté Abby du jeu. J’ai compris ses motivations, et bien que je comprenne qu’Ellie puisse avoir un besoin visceral de vengeance, je n’ai pas pu m’empêcher de penser qu’elle avait tort.
La fin du jeu est longue. Très longue. Trop longue.
Au départ, on est dans une sorte de fin heureuse, sauf pour Abby.
Ellie, elle, vit une vie paisible, loin de tout dans une belle maison, avec sa compagne et leur enfant. Elle joue de la guitare — la guitare que Joel lui avait offerte et sur laquelle il lui avait appris à jouer —,  s’occupe des animaux, du gaminou… et a des crises de panique où elle revoit le décès de Joel. Des absences parfois dangereuses pour le bébé.
Elle ne parvient pas à se détacher de cette obsession, et après une petite pichenette de la part de Tommy (le frère de Joel), qui semble avoir retrouvé la trace d’Abby, Ellie finit par tout plaquer et partir à sa recherche une dernière fois.
Sa conjointe, lui imposant à raison de tourner la page, a beau la prévenir qu’elle ne serait pas là à son retour si jamais elle revenait, mais Ellie part quand-même.

À ce stade, on reprend le personnage d’Ellie pour une mission de sauvetage/vengeance. Et pendant toute cette partie, je prie pour un twist.
Je prie pour qu’Ellie, qui connaît maintenant les grandes lignes, les très grandes lignes des motivation d’Abby ne veuille la retrouver que pour lui demander « pourquoi ? ».
Je rêve à ce moment là qu’elles se rendent compte avoir vécu la même chose. Qu’elles ont suivi le même parcours destructeur. Je rêve d’une Ellie qui veut comprendre ce qui les a amenées là pour enfin, réellement tourner la page.
Mais cette Ellie là n’est jamais venue. Elle n’a pas pu tuer Abby, non, hantée par les visions de Joel. Mais elle n’a pas compris. Est-ce qu’elle comprendra un jour ?
Est-ce qu’on comprendra un jour s’il fallait sauver Ellie ou la planète ?
Ellie a cependant laissé son annulaire et son auriculaire dans la bataille futile contre une Abby émaciée. Elle rentre péniblement chez elle, pour retrouver une maison vide, sans sa compagne, sans leur enfant, sans leurs affaires… ne reste plus qu’une guitare… à laquelle elle ne peut plus guère jouer correctement, sans deux de ses doigts…

The Last of Us Part II est un jeu horrible, excessivement dur à vivre, et dénué de fun, de ludisme. C’est une oeuvre qui nous plonge dans un profond sentiment de mal-être, et qui nous fait remettre en question l’intégralité de sa première partie. Mais c’est aussi, peut-être le premier jeu qui nous expose a de réels défauts, aux réelles fêlures de ses personnages. La folie destructrice d’Ellie n’est pas justifiée. Elle est compréhensible sur un seul point, mais pas justifiée. Il n’y a pas, contrairement à Part I, de bonne cause en ligne de mire.
Toute la positivité que Joel et Ellie trouvaient dans la négativité ambiante s’est trouvée à un prix. Un prix qu’on voit, et qu’on paye même dans cette deuxième partie, cette deuxième face de la pièce.
Part II déconstruit complètement la première partie de l’oeuvre, et nous invite à une profonde reflexion sur les actes et leurs conséquences, sur le manichéisme, sur nos propres biais cognitifs.  
The Last of Us Part II n’est pas fun, agréable, ludique. The Last of Us Part II n’est pas un jeu. C’est la face cachée d’un jeu, celle qu’on ne veut ou peut pas voir, mais qui reste présente, essentielle, indispensable pour voir le tableau dans son entièreté. Et ce genre d’oeuvre, tout autant qu’un 1984 ou un Catch-22, a une raison d’être, d’exister.